De l’autoportrait à la nécro des diables.

 

 

    Je pratiquais l'autoportrait au quotidien seul devant le miroir de ma salle de bains. Cruauté du petit matin quand ta tronche t’apparaît enfin dans le brouillard martyrisée par le voyage de ta nuit; les cheveux en bataille et la barbe hérissée; les yeux hagards englués qui distinguent à peine dans l’éclairage orange du néon au dessus du miroir. Tout le monde pense  maîtriser sa propre image corporelle : erreur, seul le miroir te la recèle et encore bien imparfaite, inversée : symétrie vertical de ta tronche. Fasciné par ces visions matinales, je fis des photos qui devinrent les modèles de mes premiers autoportraits.Je commençais à peine à apprivoiser la technique du portrait.

Puis en 2004, tout s’accéléra, l’éventualité de la  fin des diables bleus me poussa à saisir dans l’urgence leurs visages pour en faire une série de portraits que j’appelais « la nécro des diables » pour, dans l’antiphrase, tenter de conjurer le sort. La photographie numérique me permit d'avoir aisément l'architecture des visages: c'était une facilité bien sûr.Les contours ainsi délimités par la photo projeté sur le support à peindre, j'avais mon terrain de jeu en place tracé à la craie.

Ensuite je me laissais aller à  la peinture pure, aux jeux avec la matière,  à l'interprétation. Connaissant les distances immenses qui existent entre la photographie et la réalisation picturale vibrante, il ne s'agissait en rien  d'imiter la photographie. Un long travail de  peinture commençait et donnerait ce que la froideur glacée de la photographie ne donnera jamais.

Réaliser un portrait est avant tout une déclaration d'amour pour son modèle, cet amour c’est le carburant de l’énergie que l’on va déployer pour réaliser.

 La modicité de la technique face à la grande difficulté de la tâche oblige à des choix précaires de matériaux, de couleurs, de support, de technique et de là naît une distorsion entre le réel à objectiver et la peinture sensible. C'est cette « heureuse distorsion » qui permet d'exprimer l'inconscient : celui du peintre et celui du sujet.Cette marge permet l’interprétation subjective qui est pour moi plus importante que la figuration précise. Percer l’expression des regards, la profondeur des chairs, la violence des caractères, capturer l’unique de chacun  ce que je perçois comme étant sa singularité et donner à voir crûment au modèle ce que nous  supposons être connu par lui mais qu'il ne connaît pas forcement : le  mystère de soi même.Trouble de pénétrer l’intime de ce que nous transmet cette enveloppe charnelle …

Avec l’âge je suis en capacité d’assumer mes choix, ne pas tricher avec mes émotions, mes hypothèses. La fin de la  peur face à l’impudeur manifeste de ce que je révèle aux regards des autres me permet ce voyage presque impossible.

Un portrait terminé, il est urgent de choisir un autre modèle et il m'apparaît alors évident que le portrait suivant sera celui de cette personne là : elle ne sort pas d’une liste préétablie ; c'est parfois une surprise pour moi ce n’est pas forcement un ami, un intime: je laisse filer mon intuition poussée par cette envie irrépressible de peindre, souvent, l’élu, c’est l’individu avec qui j'ai eu plus de dix minutes de conversation vraie dans la semaine qui précède la recherche.