Installation
Un plasticien c'est d'abord quelqu'un qui se doit d'investir l'espace, c'est un impérialiste pas toujours sympathique car sa passion d'accaparer le plus de regards possible l'amène à déborder et à ne négocier avec les autres qu'après l'excès. Il faut dire que la tension de l'installateur dans l'installation est extrême. Panique générale. Objectif: devoir transférer et organiser dans un lieu à apprivoiser d'urgence tous ses" trésors de désir et d'imaginaire" hors la sécurité de la protection intime des murs de l'atelier ventre terrain conquis-. L'installateur passe par une phase de découragement profond où il ressent ces amoncellements matériels qu'il vient de transporter in situ comme des cadavres puants gisants et il faudrait insuffler la vie à ce charnier sans poésie. Le regard devient subitement extrêmement critique, plus aucune complaisance, le lot un tas. Il faut faire vite et l'envie vient de hacher ça menu, de piétiner pour le réduire sur la surface du sol de la salle d'exposition tout ça pour s'éviter l'épreuve et le constat d'impuissance.
L'image de corps squelettes poussés par un bulldozer traverse ma cervelle intoxiquée par le stress. Les autres installateurs avec qui je me dois partager la salle d'exposition occupent l'espace avec rapacité et on finit par se laisser aller à accomplir la tâche promise jusqu'à saturation dans l'excès. Alors seulement vient la période de soustraction, d’harmonie, de retour au calme : celui de la réelle confrontation avec le travail des autres. Le lieu devient l'oeuvre unique, la négociation de nécessaires zones de repos du regard aussi importante que le silence dans la musique donne de l'amplitude à la présentation collective. Chaque objet prend sa place à l'évidence, il ne peut naturellement pas être ailleurs dans une autre lumière avec un autre point de vue en conjugaison avec d'autres objets. La poésie rusée se réinstalle dans la fatigue. Une géométrie inconsciente et évidente rend définitif le placement et c'est l'épuisement total nerveux et physique.
Atelier d'écriture mardi le 1 mars 2005 Jean-Claude Boyer