Plus Vert que moi, tu meurs

Par Claude-Marie VADROT

Libé : mercredi 10 janvier 2007
Claude-Marie Vadrot journaliste, délégué général de l'association des Journalistes pour la nature et l'écologie*. Le blog de Claude-Marie Vadrot : http://horreurecologique.blogspot.com

Depuis des années, les sondages (nous) assurent que les Français sont sensibles à l'environnement et disposés (au choix) à mieux se conduire ou à payer plus s'ils en ont les moyens, pour que notre territoire soit mieux écologiquement géré. Depuis des années, leurs attitudes, notre attitude, n'ont pourtant pas évolué : un bobo en boutique bio ne fait pas le printemps écolo. La majorité hurle à la moindre éolienne et à la moindre entrave à la circulation automobile urbaine ; et réclame l'élimination des orties et des ronces dans les réserves naturelles. Nous mentons donc vrai, parce qu'il n'est plus, pour l'instant, politiquement correct de ne pas avoir l'air écolo.
Depuis des années, les politiques, des parlementaires aux ministres, assurent qu'ils sont disposés, sous le vocable fumeux de «développement durable», à mettre en oeuvre des comportements et des législations incitatives ou coercitives. Lors du dernier débat de l'Assemblée nationale, alors que le pays était déjà largement secoué par la vague Hulot, il y avait dix députés en séance pour discuter du misérable budget du ministère de l'Ecologie. Nos super-menteurs jouent aux Verts avec les pourcentages des énergies nouvelles. Le président écolo se garde bien de préciser que la France dispose de 112 000 mètres carrés de solaire thermique contre 780 000 pour l'Allemagne ; 5 230 mètres carrés de solaire voltaïque contre 503 000 pour l'Allemagne ; et 373 mégawatts d'énergie éolienne contre 1807 pour l'Allemagne. Les mêmes parlementaires, les mêmes gouvernements ont «oublié» de taxer les agriculteurs pollueurs dans la toute récente loi sur l'eau adoptée dans l'indifférence et l'absentéisme.
Tant que le ciel ne nous tombera pas sur la tête, nous continuerons de mentir et de faire semblant d'être Verts tandis que continuera la danse du scalp autour de Nicolas Hulot. C'était la séquence dérision...
Ségolène a signé, François a signé, Nicolas (l'autre) a signé, Marie-George a signé, Dominique a signé et Jean-Pierre, nouveau pacsé du PS, a donc signé par procuration, ce qui lui a évité de rappeler publiquement qu'il n'avait jamais compris ce qu'étaient les problèmes d'environnement. Le pacte écologique de Nicolas Hulot vient donc d'atteindre son point maximum d'inutilité, ce que l'on appelait encore il y a quelques années le «principe de Peter». Tout le monde est pour le pacte, les journaux et les politiques baignant dans l'unanimisme sur le thème «plus écolo que moi tu meurs». Ne reste plus qu'à chercher l'erreur ! Tous Verts ! Tellement Vert, Sarkozy qu'au cours de sa prestation télévisée de près de trois heures sur France 2 pour présenter sa candidature surprise, il n'a pas prononcé une seule fois le mot écologie ou le mot environnement. Même performance le 11 décembre pour Buffet au cours d'une émission de cinquante minutes à France Inter ; et lacune semblable de Bayrou lors de sa déclaration officielle de candidature sur fond de montagnes pyrénéennes pour les caméras de télévision ; genre la farce tranquille.
Pour Royal, on attend mais quand on lit le programme du PS, il est permis de redouter le pire, en dépit du renfort d'une Verte parisienne de choc et de Bruno Rebel, l'ancien patron de Greenpeace France. Mais, au moins, ce dernier sait de quoi il parle et porte en bandoulière d'autres prouesses que de jolies images télévisées. Quand à la gauche antilibérale qui a réussi à écoeurer Bové, elle passe son temps à se balancer des insultes, des vertes et des pas mûres. Alors, l'écologie, camarade, on verra plus tard, quand on aura pacsé le consensus et la démocratie. Pour plus d'explications, voire Clémentine Autain qui manie vertement la langue de bois, ce qui ne suffit pas pour faire écolo, elle s'en est aperçue.
Revenons au pacte qui agite le microcosme pâmé. Nos confrères journalistes politiques, fatigués de mettre en scène la concurrence indécise et ennuyeuse entre Royal et Sarkozy, se ruent sur Nicolas Hulot et le psychanalysent. Leur nouvelle vedette, leur dérivatif : enfin un candidat qui ne comprend rien à la politique, une aubaine ! Une vraie curée, qui sert à masquer la vacuité de leurs questions et de leurs analyses ; et à relancer l'industrie pourtant prospère de la «petite phrase».
Dans les rédactions, désormais, les chroniqueurs politiques confisquent Nicolas Hulot, interdisant littéralement aux journalistes spécialisés d'aller poser quelques questions d'écologie à notre nouveau Coluche (en moins drôle, bien sûr) pour qu'il puisse aller au-delà des banalités qu'aligne son pacte, qui n'est qu'une bien pâle copie de ce que disent les spécialistes et les journalistes environnementalistes depuis une vingtaine d'années.
Les Verts aussi, il faut le reconnaître : mais les Verts ont trop souvent cru, Voynet en tête, qu'il fallait aller parler d'écologie aux journalistes politiques. Lesquels s'en foutent complètement, eux qui ne connaissent que la nature des jardins de Matignon et de l'Elysée. Il y a quelques jours, désespérant de remonter le moral à ses troupes, Voynet a d'ailleurs eu, pour une fois, une révélation d'écologisme fulgurant en déclarant : «Il ne suffit pas de fermer le robinet en se lavant les dents et de cliquer sur une charte écologique pour sauver la planète.» Superbe exocet en plein dans le pacte écologique qu'elle a pourtant signé.
Les partis politiques viennent tout simplement de fracasser le beau projet de Nicolas Hulot. Car, étouffé sous les embrassades, banalisé par les danses du ventre torrides, écrasé sous les chants de guerre des tribus partiaires qui espèrent, qu'enfin on ne va plus parler politique pendant la période électorale, le «pacte» est en train d'exploser en plein vol.
Nicolas Hulot n'a plus qu'une solution : faire de la politique. Or cela semble être l'activité pour laquelle il est le moins doué. Il vient d'apprendre à ses dépens, alors qu'il prépare pourtant son coup d'éclat depuis plus d'un an que, probablement, la politique est une chose trop sérieuse pour être laissée aux écologistes. Et inversement, bien sûr. Hulot, dépouillé au coin d'un bois, est nu désormais.
L'unanimité sidérante fait resurgir les fantômes des promesses non tenues du passé et apparaître la pâleur, la fadeur du projet. Les politiques s'en sont vite aperçus, ils ont l'habitude des catalogues à grand tirage qu'ils appellent programme, c'est pour cela qu'ils en redemandent. Les promesses faites par les uns et trop d'autres, n'engagent, selon la formule consacrée, que ceux qui les écoutent. Nicolas, si sympathique qu'il soit, n'a plus qu'à ramasser les débris épars de son pacte. Comme le Titanic, il est en train de couler. C'était la séquence émotion...
Le temps écologique du parler pour ne rien faire continue.

Une campagne financée par EDF, Bouygues, L'Oréal... ne peut correspondre à l'éthique verte.
Pourquoi je ne me rallierai pas à l'animateur vedette
Par Corinne LEPAGE
QUOTIDIEN (pas de la Réunion!) : vendredi 12 janvier 2007
Corinne Lepage candidate à l'élection présidentielle


L'éthique s'oppose à ce que Nicolas Hulot soit le candidat des écologistes. Pour moi, l'écologie revêt avant tout une dimension éthique. Se préoccuper de la planète, des générations futures, conduira à prendre pour la nôtre des choix cruciaux, et cela n'est concevable que si les moyens sont compatibles avec les fins. Le combat écologiste conduit inévitablement à affronter des intérêts économiques puissants, à prendre des coups. Tous les écologistes et, au-delà, des centaines de milliers de Français qui se battent contre des autoroutes, des incinérateurs, des antennes-relais, des porcheries ou des installations chimiques le savent. Comment un animateur vedette qui n'a pas mené ces combats associatifs contre les puissants et compte dans sa fondation des entreprises contre lesquelles le combat écologiste est quotidien pourrait-il représenter les écologistes à l'élection présidentielle ? Du reste, le but de la Fondation est l'éducation, vocation louable et indispensable, mais qui permet précisément de jouer du mécénat sans aucune conséquence. Le Pacte parle beaucoup du climat, mais aucune de ses propositions ne gêne directement les entreprises qui financent la FNH.

L'interpellation citoyenne est nécessaire et Nicolas Hulot le fait avec beaucoup de talent. Mais elle deviendrait vite inconciliable avec l'éthique écologiste si elle se transformait en démarche politique.
Le combat pour l'écologie est un combat pour la morale. Je m'étonne que des députés verts ­ présumés antinucléaires ­ fassent un appel pour voter pour un candidat dont le conseiller principal sur le changement climatique, Jean-Marc Jancovici, par ailleurs consultant pour Areva et EDF, déclare que mieux vaut les quelques milliers de morts de Tchernobyl ­ qui, eux, existent ­ que les millions de morts du changement climatique que nous visons précisément à éviter pour justifier le recours à l'énergie nucléaire. L'humanisme, le respect de la vie sont les valeurs fondamentales sans lesquelles l'écologie n'a aucun sens.
Le combat pour l'écologie ­ s'il devient politique ­ se doit d'être exemplaire quant au respect des règles du jeu. Comment concevoir que la campagne du «candidat de l'écologie» soit financée depuis huit mois par une Fondation alimentée par des entreprises comme EDF, L'Oréal, Bouygues, Autoroutes du sud de la France, et par TF1 directement via Ushuaïa ? Même si ces sommes devaient être remboursées, il est difficilement pensable qu'un tel candidat soit celui de l'écologie.
Enfin, le combat pour l'écologie est politique. Il vise à faire triompher une cause en prenant en compte les dimensions de justice sociale et d'efficacité politique. La stratégie de campagne de Nicolas Hulot, les reports successifs de sa décision n'ont eu pour effet ­ voulu ou non ­ que de détruire les efforts de construction et de reconstruction de l'écologie politique en visant à en discréditer ses représentants politiques et en faisant échouer les assises de l'écologie que nous voulions organiser avec les Verts et l'Alliance au moment de la réunion des experts gouvernementaux du climat (Giec), prévue à Paris à la fin du mois de février.
Ce combat médiatique en faveur de l'écologie pourrait rapidement se transformer ­ grâce à l'aide efficace des pollueurs possesseurs de médias et donneurs d'ordre de publicité ­ en une entreprise de destruction du travail militant de trente ans.
Non, je ne me rallierai pas à la candidature de Nicolas Hulot, si candidature il y a, et je pense, de plus, que, sur le plan politique, deux candidatures se réclamant de l'écologie se complètent car il y a bien deux voies politiques pour parvenir à un objectif commun : répondre efficacement à l'urgence écologique.


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