Essai d'explication d'un enchantement.
La richesse réelle des Diables Bleus est non mesurable car elle n'a pas de valeur marchande, elle n'a ni poids ni volume ; elle a la finesse de l'impalpable. Elle est de l'ordre du plaisir oriental intense de jouir longuement, physiquement et lentement d'un lieu agréable, de la légèreté de l'air ou de la beauté d'un sourire. L'architecture ouverte du lieu avec son jardin de maison de campagne, ces allures de gare abandonnée, de corderie mystérieuse est suffisamment polysémique pour que chacun s'y retrouve. Ce lieu diffuse du plaisir car il est ressenti comme appropriable pour le temps d'une visite, d'une période de travail, le temps d'un spectacle. Ce lieu magique appartient au plus grand nombre sous certaines conditions et pour un certain temps. Il ne peut pas être un camp retranché en marge de la politique sociale et économique de la ville et coupé du voisinage et du quartier.
C'est un lieu libéré fragile et provisoire qui est révélateur de ce qui manque le plus dans ce monde de compétitions inutiles et de marchandises : la lenteur, la légèreté, la divine surprise, les longs palabres, "une situation" vraie, les mélanges additifs, la sensualité des corps, l'invention vitale, la ré-appropriation de l'espace, le contact avec l' altérité baroque... l’addition du mélange provoque cette qualité du sourire que l'on voit ici sur les visages et qui n'a pas de prix, et qui ne se mesure pas. C'est un délicieux état suspendu si léger qu’on le voudrait éternel, une belle utopie : nécessaire contrepoison d’un capitalisme triomphant et belliciste.
Aussi, on ne raille les Diables Bleus que gentiment, un doigt sur la tempe, avec le respect de ceux qui ne comprennent pas tout à fait l'enchantement des sorciers parce que nous sommes les victimes involontaires de l'esprit d'un système dominant. Nous avons tous un besoin urgent d'utopie, de légèreté, de sensualité et de poésie.
Jean-Claude Boyer.