2e atelier d’écriture, le Mardi 1 Mars, 2005

 

Trauerarbeit (travail de deuil)

ou

Les photos jamais prises

 

Ce soir, deuxième atelier d’écriture aux Diables Bleus. Dans une pile de photos, on en choisit trois ou quatre comme point de départ pour l’écriture.

 

Ce soir, je ne suis pas bien, c’était une « journée de merde », les manips ne marchaient pas, on n’arrivait pas à résoudre les problèmes et je rentre - bien que tard - sans aucun résultat, tout encombré par mes petits soucis quotidiens. C'est-à-dire, je ne rentre pas encore chez moi, je viens d’arriver dans le nouveau local des Diables Bleus ; - mais en fort retard.

 

Y a plein de choses qui restent encore à faire. Finir taper sur l’ordinateur le texte que j’avais écrit la dernière fois. Taper une lettre à Julia Deeg[1] (que j’ai en brouillon depuis plus qu’un demi an…). Finir une lettre à Jorge Semprun (une lettre que je porte depuis des années sur mon cœur … Finir la rédaction des articles sur les résultats de mes travaux de recherche scientifique des dernières années. Préparer une affiche pour une conférence avant la fin du mois de Mars. Et encore faut-il laver les linges, faut-il que je fasse les courses ainsi que le ménage, et en même temps il faut que je travaille bien et que ma tâche avance, car je n’ai qu’un CDD de trois ans et des concours à passer… je me résous en refoulant tout jusqu’au dernier moment ou bien trop tard…

 

Cependant, il y a des choses, qui ne se reportent pas. Et de ne pas être allé au fond des choses laissera un deuil à jamais. Le deuil de ne pas avoir quitté le train (que je prenais tous les matins) pour prendre une photo de la première et de la dernière neige tombée dans l’année tapie entre les mottes brunes des champs labourés. Le deuil de ne pas avoir prise une photo des traces vierges sur la neige dans la cour  sur lequel donnait mon appart[2] avant que le ciné multiplexe n’y soit construit. Le deuil de ne pas avoir prise une photo des lignes télégraphiques longeant la voie ferrée avant leur démontage brusque, une photo du soleil se reflétant dans les toutes nouvelles lignes à haute tension se dressant sur les champs dénudés, avant que leur métal n’ait pas perdu ses reflets – avant qu’il ne soit devenu mat et rouillé. Le deuil de ne pas avoir vécu tant qu’on était vivant…

 

Je crois que la durée subjective d’une vie subsiste le nombre de jours dont on se souvient. Les gens disent que plus de choses se passent, plus le temps passe vite. Mais c’est bien le contraire qu’il faut dire : plus notre vie est riche, davantage notre temps précieux est comblé de souvenirs ; - davantage de temps sera arraché de l’oublie. Sinon, au bout du compte, effrayé par le creux, le vide qui s’étendra entre nos deux dates vitales, on se demandera où tout ce temps s’est enfuit… C’est pour ça que je regrette un peu de ne pas été tombé sur les Diables Bleus plus tôt déjà, car c’est un lieu où le temps s’arrête et où la vie s’arrache de l’oublie.

 

DCP_4257. Le temps s’arrête - arraché de l’oublie.

 

Et j’en suis sûr ; - s’il n y avait pas eu cet atelier ce soir, je serait encore resté au labo, et cette soirée se serait évaporée dans une oubliette. Après demain je n’aurais déjà plus su ce que j’avais fait aujourd’hui.

 

C’est ça que je ressens quand je regarde cette deuxième photo. Des gens s’y promènent dans la petite forêt devant les locaux des Diables Bleus ainsi que dans le Gand Eden[3] : Une soirée arrachée de l’oublie, une soirée assurément remplie de souvenirs ; - d’un laurier en fleur, d’un sourire, d’une table ronde spiralaire, d’une bonne cigarette, des guirlandes avec des ampoules de toutes les couleurs, des lampions…

 

DCP_4868

 

Apparemment la photo est prise au moment où la nuit tombe. On porte encore des Tee-shirts ; - il faisait chaud ce soir là - c’est l’été. Peut être un bœuf de musiciens s’égrenait ou encore un baleti en ce soir d’été dans sa chaleur réconfortante. Dans sa chaleur rassurante dans laquelle la nuit se passe agréablement ; - une chaleur dans laquelle on peut se laisser tomber, à laquelle on peut faire confiance : si l’on se couchait quelque part, on se réveillerait assurément le lendemain ; - pas nécessaire de se munir de ruse, de s’armer de murs, ou d’inventer des appareils qui assureraient la survie… une chaleur qui te prend par les épaules comme deux mains ; - comme un massage. Tu peux te laisser tomber en arrière ; - le Seigneur marche à côté de l’homme insouciant, inconscient de sa nudité…

 

DCP_1500 Le Seigneur danse (?) à côté de l’homme insouciant, inconscient de sa nudité.

 

2.Sam6.14 And David danced before the LORD with all his might; and David was girded with a linen ephod.

 


Froid. Ruines. [Ciel gris, couvert.] Les Diables chassés du Paradis [paradis]. Quelle était leur faute, quel est leur orgueil, leur prétention ?

 

DCP_5710 Froid. Ruines. Ciel gris ; couvert.

 


Photos associées.

 

DCPa_2375

 

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DCP_1068

 



[1] Anarchiste allemande qui a squatté comme [en tant que] bouclier humain dans le quartier général de Arafat lors du siège

[2] [derrière mon appart] [que je voyais depuis mon appart]

[3] Jardin en Eden - Gan weEden בעדן גן, Jardin Eden - Gan Eden עדן גן