Chapitre 1

 

 

           

 

 

       Lorsque j'arrivai dans la chambre de la clinique la veille de l'opération, j'y trouvais ce que je redoutais: une télévision à fond, un ados fraîchement majeur zappette à la main. Il insultait copieusement sa mère assise en face sur un fauteuil au pied du lit.

"Tu sais.Tu sais quoi, tu veux que je te dis quoi ?

T’entends ou quoi ?... Je te dis va chercher cette putain d'infirmière et vite !"

 La mère impassible se faisait houspiller par son avorton pas fini, accompagné d’une copine transparente, pas finie elle aussi. Il fuma dans la chambre et les infirmières lui signifièrent la terrasse comme lieu toléré. Il avait été opéré du matin, un pansement sanglant au cul l'attestait et il voulait déjà sortir en milieu d'après-midi et comme il n'avait pas les pelotes d'affronter le monde médical, il hurlait des ordres à sa mère exigeant qu'elle aille démarcher pour lui :

"T'es conne ou quoi tu as bien compris ce que je t'ai dit tout à l'heure, je te dis que je veux sortir. Rien à foutre ici."

Il gueulait sa copine accrochée à son cou en zappant la télé qui gueulait  aussi ; la mère restait impassible. Allongé sur le lit, je tournais le dos à ce spectacle. Nicole suivait des yeux le sketch. La mère chercha du regard l'appui de quelqu'un dans la chambre et dans le brouhaha, le chahut de la scène, lâchement, j'interdisais Nicole, à voix basse, de s'occuper de cette histoire car déjà elle répondait des yeux aux incitations de la mère. Mentalement, je l'entendais déjà prononcer un :

" Tu devrais respecter ta mère et l’écouter. On ne lui parle pas comme ça."

     En parfait prof. Et moi depuis un certain jour, cet incident à l'école de Carros où j'ai failli les tuer par paquet de vingt dans une classe ingérable... J'étais passé ce jour-là juste entre l'asile et la prison et je m'étais promis de ne plus m’intéresser aux ados en général et au plus con en particulier. Celui-là était largement du club des plus con. Il téléphona longuement à un pote sur son portable depuis le fixe de la clinique. Sa mère lui fit remarquer que l'addition risquait d'être salée: nous étions dans un «  hôtel quatre étoiles ». Il s'en foutait. Et réclama à son pote un short large pouvant contenir l'énorme pansement sanguinolent qu'il avait au cul. Il sentait bien que le jeans serré il n'y rentrait peut-être pas. La mère appela finalement une infirmière qui demanda au jeune homme s'il voulait remplir une fiche de décharge de départ volontaire. Le ton était sévère, sans appel, il répondit qu’il n’avait plus rien à foutre ici qu'on ne lui ferait aucun traitement pendant la nuit. L'infirmière sortit un instant et revint le menacer d'un :

« le Dr Barthelo est en salle d’opération, j’ai pu le joindre.

Il insiste pour que vous restiez cette nuit : les risques sont élevés.

Si vous partez quand même et là suivit une longue sentence:

 pas d'arrêt de travail,

 pas d'ordonnance,

il ne veut plus jamais avoir à faire à vous dans l'avenir,

en cas de complications hémorragiques inutiles de revenir le voir.

 Vous êtes toujours d'accord pour partir réfléchissez! »

La mère déplora la perte des 500 € de jours de travail, l'absence d'ordonnance pour les pansements, l'imprudence de ce départ… Rien n'y fit. Il réfléchit trois secondes et dit :

" Je me fous des 500 €, je veux être à Levens ce soir , j'ai affaire là-bas je me casse d’ici, aller ! On se casse ".

        Alors il fit des efforts insensés pour enfiler son pansement sanglant dans le fute étroit, se tint debout malgré la vive douleur et il déclara qu'il trouverait bien un toubib pour lui faire tout ça sur place.

 Du regard, l'infirmière et le" personnel à la botte",  le considéraient comme un pestiféré. Le petit con, il cassait  un petit commerce prospère à 750€ par nuit je compris un peu plus tard mes dépens qu'on ne part pas facilement de la clinique même lorsqu'on est rétabli . Business business. Nicole avait changé de camp, ça se voyait dans ses yeux.  La connerie juvénile contre le mépris mercantile et soumis du personnel : elle avait opté. Doublement insupportable pour moi, mais je n'aurais pas pu trancher si j’avais eu à choisir…Trop gros passif antérieur, remonté acide de vieux souvenirs jamais cicatrisés... Je voulais que tout cela cesse au plus vite c’est tout. Je lui rappelais de se taire car elle était sur le point d'exploser : depuis toujours, supporter la justice n'était pas son truc. Ils sortirent de la chambre et ce fut un silence du moins momentanément, je respirais mieux. Je m'empressais d'éteindre de télévision...Après midi calme.

 Je pris vers six heures un repas léger, Nicole  partit après le repas et je décidais de m'organiser une séance de lecture, silence .Un moment de calme, de décantation c’était rare dans ma vie et j’appréciai presque de n’avoir rien à faire dans cette chambre anonyme et silencieuse. Je n’étais pas particulièrement angoissé par l’opération, seulement tracassé et je  décidai de ne me plonger artificiellement dans le sommeil que vers 11 heures. Un cachet et je m'endormis calmement.

Vers 11 h 50 Fracas, lumières, urgence, chariot, personnel. Un mec arriva : un voisin de lit. Séduisant et poli le salaud gagna en cinq minutes toute la sympathie du personnel féminin. Un pro, presque sans rien faire, le charme à l’italienne c’est encore une inégalité de plus, il n’était même pas particulièrement beau ni jeune: la grâce à l'état pur . J'étais définitivement réveillé pour la nuit. Je demandais un autre cachet ; on me dit qu'on m’en avait déjà donné un. Il avait des calculs ou une occlusion intestinale, tout ce que je savais c’est qu’il souffrait de façon atroce et que c’est pour ça qu’on l’avait amené  là. Je l'entendais dire entre ses dents : « je n’en peux plus, je crois que je ne vais pas pouvoir tenir » il appelait au secours le pauvre sans oser déranger quelqu’un, je me levais en pleine nuit plusieurs fois et appelais l’infirmière de garde qui ne put que le droguer un peu plus tant il se tordait, debout, il hurlait. Je ne lui adressais pas la parole et le lendemain on m'apporta très tôt sur un brancard  en salle d'opération après une  nuit agitée.

     

 

 

 

Chapitre 2

 

 

 

 

 

       La salle d'opération c'est comme une basse-cour où les poules infirmières font "côte, côte !" côte à côte. Elles parlent de leurs vacances au Portugal ne perdant jamais du coin de l'oeil l'anesthésiste « coq en chef » qui se pavane ridicule comme tout être humain dans ce genre de transaction sexuée, ça pue la convoitise, le comment  en choper un, un élément ciblé de la caste supérieure. Oeillades, frôlements, roucoulades tout l'arsenal de séductions y passe. Et toi tu te fais quoi? tout petit allongé, gisant ,attendant ta dose pour disparaître un instant le temps qu'on te charcute un peu et tu t'imagines un moment que la légèreté puisse continuer à demi-mot pendant que tu seras de" viande vautrée ,ouvert en deux « momentanément absent ». Mais le chirurgien Mr Tomsitt, bon père oriental respecté ramena un peu de calme dans le jeu des électrons qui se glissent où ils peuvent dans le champ magnétique. Je fais l'absent mais j'écoute jusqu'à la dernière goutte la conversation sur le Portugal... C'est une forme de lutte des classes revue façon TF1 auquel j'assistais : une Lutte des classes du cul et que la plus belle gagne... Jusqu'à ce qu'on m'enfonce cette grosse piquouse dans le dos et que je sente mes jambes devenir chaudes avec la sensation qu'elles vont gonfler et quitter mon corps enclume pour le ciel ... Dissociation.

Au réveil Mr Tomsitt ne montra dans un récipient transparent le kyste sanguinolent gros comme un trognon de pomme qu’il avait prélevé entre mes fesses.Il me parut monstrueux je ne savais pas que j’avais toute cette chair dans la raie du cul il avait du racler jusqu’à l’os jusqu’au coccyx. On me ramena dans ma chambre.j’eus du mal à passer du brancard au lit mais jambes étaient encore endormie et ne répondaient pas .On me drogua abondamment …je flottais…C'était délicieux...

            Je ne sais pas pourquoi mais lorsque j'étais dans ces vapeurs opiacées, juste après mon opération, portant dans mon lit ce bout d’étoffes ridicule de coton blanc qui nous sert de chemise en clinique et qui vous déshumanise en un rien de temps en ne couvrant en rien notre corps nu, il me semblait que j'avais beaucoup trop de visite. De petites mains soulevaient le drap exposant de facto mon sexe dénudé aux regards et me demandaient de montrer mes fesses pour vérifier le pansement. Je m'exécutais sans arrière-pensée, étonné quand même par tant de délicates attentions. Je me rendis compte un peu plus tard quand une sotte à lunettes entra assez vite dans la chambre et souleva furtivement le drap alors que j'étais allongé en communication téléphonique. Je le lui fis remarquer en levant les yeux sur elle, elle prit un air gêné qui dénonça sa curiosité fautive. Elle ne put que me dire d'une voix blanche et hésitante qu'elle vérifiait le pansement. Mais j'avais reconnu une fille de salle préposée au manche à balai et à  la serpillière et qui ne devait normalement pas avoir accès à des attributs. Je la renvoyais « la pauvrette » sans brusquerie. J'ai une queue un peu particulière intensément noire comme charbon et de bonnes couilles bien rondes bien noires aussi et un gland circoncis comme un gros radis rose...

Je sais par expérience que le rapport au corps des autres  ce n'est pas simple même lorsqu'on est supposée "professionnelle». Pas de neutralité lorsqu'il s'agit d'accéder au corps des autres. Je suppose que la sotte avait dû entendre quelques commentaires graveleux d'arrière salle tenu par quelques infirmières et elle avait tenté sa chance en essayant de voir de plus près. Elle me croyait encore vulnérable dans l'innocence de l'hospitalisé au cerveau brouillé par les calmants en perfusions permanentes.

 

 

 

 

 

 

Chapitre 3

 

 

 

 

Vous parlez anglais.

-- Oui beaucoup... Je suis anglais.

Un vieux monsieur  très digne comme une caricature de Major anglais de la guerre des Indes me regardait de toute sa hauteur un léger sourire amusé au coin des lèvres. Plein d'humour. J'avais débarqué dans la chambre  212, sa chambre parce que le lendemain de mon opération, mon voisin de lit dans la chambre 312, fraîchement arrivée très tôt ce matin là, avait gerbé: repeignant les murs carrelés blancs des chiottes d'une mousse abondante répandant l'odeur acide d'un vomi vert- jaune de bile sous pression. À l'heure du petit déjeuner ça déménage les tripes. Et, il arriva le petit déjeuner, sous la forme d'un plateau complet,  déposé à la hâte dans la chambre par un être robotisé feignant d'ignorer le cataclysme pour ne pas se compliquer la tâche et commencer à penser. Je pris le plateau, écoeuré et je sortis de la chambre et je me dirigeais vers le fond du couloir cherchant un endroit pour déjeuner tranquille et là on me rattrape d'un" ça ne se fait pas monsieur". Je leur demande s'il existe un lieu où je pourrais déjeuner. Non "c'était la chambre, la terrasse ou rien, il ne disposait pas d'un autre endroit". Dans cette clinique, on le sent bien lorsqu'on s'adresse au personnel qu'il ne faut pas trop les déranger et qu'il ne faut surtout pas s'amuser à franchir les limites de leur petit bureau refuge.. Et je voyais bien que  personne parmi le personnel ne voulait s'attaquer au désastre du chiotte tout de suite. Et en plus,  je les comprenais fort bien. Certaines courageuses s'y essayaient tout de même et ressortirent bien vite, blêmes, incommodés par l'odeur insoutenable et là je compris que ça pouvait être très long. Je rendis le plateau du petit déjeuner et je pris le parti d'une attitude passive mais déterminée et calme. Je m'installais donc après avoir rendu le plateau au personnel étonné en pyjama dans le fond du couloir bras croisé silencieux regardant l'extérieur par la vitre donnant sur l'escalier de services descendant vers les jardins côté montagne. Ça intrigua un peu le ballet des médecins qui commençaient les visites des chambres et on finit par venir me compter "le manque de personnel, les difficultés du service". Je dis que je n'avais aucune récrimination spéciale à faire mais que je ne pouvais tout simplement pas déjeuner dans cette odeur abominable que tout le monde pouvait constater et qui d'ailleurs atteignait maintenant le couloir. Une dame du personnel "une chef" finit par m'ouvrir une chambre où se trouvait un vieux monsieur à qui je dis bêtement : vous parlez anglais? et qui me répondit oui beaucoup... Je suis anglais et ce fut le début d'une brève conversation intense, l'interview d'un inconnu qui prenait pas de risque: il allait quitter la chambre 212 après une intervention chirurgicale, ses bagages étaient prêts devant la porte. Il me raconta qu'il était chercheur dans les moteurs de moto à la retraite. Je lui dis que je préférais de loin les vélos et me répondit que lui il aimait la mécanique, le bruit, la puissance des moteur. La conversation était originale sans concession j'utilisais mon "anglais français" et lui sont "français anglais". Je lui traduisais certains mots et lorsqu'il me parla de sa vie de retraités toute de voyages entre Londres, Paris, Cannes et Calians un petit village dans le Var, son "so boring"je le lui traduisais par" si ennuyeuse" en simultané, il souriait. Il regrettait le stress du boulot, l'excitation la recherche qu'il avait quitté il y a 10 ans ainsi que les responsabilités d'équipe d'ingénieurs chercheurs comme lui qu'il formait. Il rechercha un instant sa montre qu'il avait judicieusement oublié à la maison pour ne pas subir la lenteur du temps contraint. Conversation trop intense, imprévu, trop rapide sous le feu de mes questions intéressées qui en amenaient une autre plus précise encore.

   Il perdit pied... Je le sentis et à un moment précis il sortit commander un thé comme pour reprendre le souffle. Il en avait trop dit, trop vite, du trop personnel à un étranger qui plus est. Le thé arriva et il le but dos tourné ... Le regard lointain : sur la circulation minuscule au fond de la vallée du Paillon qui faisait parvenir un ronflement incessant jusqu'à la colline où était perchée la clinique... Sur les collines de Cimiez aux allures Toscane... Sur le mont Boron au loin et en bas sur la mer si bleue... Il buvait paisiblement son thé me tournant le dos ne m'adressant plus que des bribes de parole pour ne pas être totalement impoli. Moi je regardais amusé cette longue silhouette aux gestes calculés buvant paisiblement son thé se dessiner dans l'encadrement de la baie  lumineuse de la chambre : pantalon de velours, chemise de flanelle soignée et chaussure fine de bourgeois.