CAN E POUARC
Faire de l'art avec de l'insignifiant, sanctifier la banalité ou triturer des déchets recyclés art, vedettiser l'idiotie, faire croire que tout vaut tout dans la jouissance esthétique perverse d'une transgression enfantine plus ou moins joyeuse, décréter la fin du sensible et de l'émotion et il ne nous reste pour l'essentiel que de la provocation parfois stérile et l'exploitation opportuniste des financements publics à qui on vend du vide car l'artiste c'est parfois devenu un magicien de l'embrouille avec la complicité des institutionnels, des marchands ,des acheteurs spéculateurs, de la presse spécialisée, tout ce petit monde qui s'auto valide en circuit fermé. Le public lui crie« le roi est nu » et s'en éloigne fatigué de se faire chier dans des expos et dans des musées où parfois il a l'impression d'être de trop devant des private jokes . On en arrive à un art qui à l'instar du monde politique se coupe des masses. Et pourtant. .. Attendez voir si je ne me trompe pas il s’est déplacé en nombre le public, à l'exposition Can e Pouarc. Mais, quels sont les raisons d’un public étonnamment si nombreux, si varié? A mon avis si le public s'est déplacé en masse, Ernest Pignon Ernest y est pour quelque chose, sa présence a un poids symbolique puissant, la force de la probité ; il sort des musées, traite dans la rue des sujets politiques, sociologiques ou historiques d'une grande pertinence aidé par une solide technique et dans l'expo, le public a rencontré, chemin faisant d’autres créateurs : un Maubert raconteur d'histoires marines si proche notre sensibilité occitane méditerranéenne, une peinture riche pleine d'émotions et aussi un Migliore au destin tourmenté : les squats, la drogue et la mort avant la célébrité ... des tripes, de la révolte et les moyens techniques pertinents pour les exprimer ... magnifique et subversif .... et bien d'autres artistes singuliers... et puis ravi il est allé le dire à ses voisins qui sont venus eux aussi... Les gens, à ne pas si tromper, sont venus aussi pour voir des lieux mystérieux voire sulfureux : ceux de la Brèche et du Collectif des Diables Bleus, ces casernes libérées du monde du fric et de toute influence et ils ont saisit l'opportunité de l'expo pour se déplacer en grand nombre. Ils sont venus voir des artistes dans les lieux mêmes où ils produisent; curiosité de voir le côté « cuisine» secrète d'un atelier, et aussi de ressentir l'enracinement réel d'une production joyeuse en révolte. Un public nombreux qu'on ne voit pas forcément dans les musées et dans les expositions branchées étaient là enthousiastes, questionneurs. Venu parfois en famille. Y voir peut-être un espoir d'art populaire et festif en gestation, d'une possible poétisation émancipatrice de masse dont nous serions un échantillon précurseur, d'un art vivant sensuel non vitrifiés. Venu voir ce que l'on expose ailleurs que dans des lieux complaisants fonctionnant en vase clos ,s’enquérir d'un art sensible, enraciné au territoire, d'un retour du sens et d'une envie collective de dire ses désirs, sa révolte en produisant des œuvres qui ne seraient pas la seule répétition maladive d'une signature d'un emblématique égo ,d’un dérisoire tag répété comme sur une planche à billets et venu voir ceux qui auraient un autre projet que d'être un « non art pour une non société»
Jean-Claude Boyer