Le supplice de l'abbé noir.

 

La place saint Roch  avait été choisie cette année-là ,nous sommes en 2003, comme lieu de départ du carnaval indépendant, juste à la porte de l'église Saint Roch et il fallait compter  avec la paillardise et l'imagination habituelle de ses participants: machine automatique à distribuer du pastis, les déguisements loufoques tcharafi de carnavaleux, les chars de briques et de broques ,la vieille clown fardée pathétique dans un coin, les lanceurs de farine qui s'activent, les fanfares colorées ,les enfants qui se coursent en riant....

Sortie de messe. Concomitance des timings...surprise des deux camps.. Rencontre burlesque de deux mondes.

Un abbé noir mène le cortège, digne, vêtu d'une étole colorée sur un costume gris anthracite, il papote poliment avec chacune de ses ouailles disciplinées, le geste lent cérémonieux tapotant au passage quelques têtes d’enfants.

Les deux groupes se côtoient maintenant à se toucher feignant de s’ignorer, regards en coin.

Groupe turbulent coloré  rigolard et groupe onctueux lent, homogènement gris. Petit à petit les paroissiens se détachent de la procession qui a atteint maintenant le centre de la place. On se frôle on s'esquive et on commence à entendre quelques commentaires agacés. "Ils ne respectent rien, pourrait aller faire ça ailleurs quand même"de gens qui s'éloignent peu à peu.

Arrivée de Xavier coiffé d'un large chapeau mexicain façon Zapata conduisant son vieux tracteur pétaradant et fumant auquel est accroché une remorque sur laquelle se trouve le four à pizza avec Dgilu, Satan en chef et quelques diables pizzaïolos italiens façonnant et organisant la distribution satanique de pizzas brûlantes. Les passagers du char alimentaire commencent à distribuer des pizzas gratos aux paroissiens qui demandent s'ils doivent payer. La charité y connaisse c'est au moins au prix de la condescendance "c'est pour vous mon pauvre et restez surtout à votre place ". Les pauvres diables eux offrent bel et bien de la bouffe gratuite odorante et chaude avec le sourire sans demander de merci à quiconque. Une véritable eucharistie du diable. Il hésite mais pas longtemps les paroissiens ah! La tentation quand même ! Ils vont même jusqu'à réclamer avec insistance une part de pizza sous le regard embarrassé de l'abbé noir au supplice.

Jean-claude Boyer