Cette image de guerre               1er décembre 04

Ce matin-là... C'était ce matin-là et nous le savions.

Aube froide d'un combat qui n'en aurait pas la forme.

Nous nous sommes déployés autour du site à cinq heures pour le guet, en attente de ce qui était encore tapi quelque part dans le noir, le reniflant à travers l'air humide.

Les deux, partis pour la ronde dans le quartier, sont revenus, nous avons convergé vers eux...

Regards. Nous nous y étions. Nous n'avons pas attendu d'explication.

Faire face.

Hommes noirs avançant, s'alignant, pénétrant... Partout.

Hommes noirs cagoulés, cachés, ridicules.

Hommes costumés les accompagnant... Les huiles.

Alors, nous, fourmis indomptables commençant le ballet,

fourmis attaquées et vidant le nid, nous avons entamé les va-et-vient incessants.

D'abord enlever les fenêtres...

On nous filme, mais on ne peut pas filmer. Les journalistes ne sont pas admis.

Échanges aigre-doux...

Regards dérobés ou francs.

Lueurs de pierre, lueurs de feux.

Vibrations insoutenables.

Arcs tendus des corps qui s'automatisent.

Cris muets.

Pauvre guignol et pelle mécanique éventrant un jardin pour rien, pour le plaisir imbécile et malveillant d'un pantin à la botte.

Insupportable cri de refus. Remous. Affrontements. Arrêt de l'engin.

 

L'épieu s'enfonce : ils détruiront le bâtiment dans la foulée... Ce soir.

La noria continue. Les camions de l'huissier se remplissent

de tout, de rien, inimaginable magma.

On décrète même la mi-temps,  on mange.

Deux camps. Risible...

La noria reprend jusqu'à étourdir.

Des hommes blancs de la voirie se mêlent à la danse.

Certains se moquent. D'autres restent muets. L’un proteste avec véhémence.

Ils finissent en abandonnant pêle-mêle sur le parking un reliquat hétéroclite, après que le dernier camion ait été rempli.

 

Le soir approche.

Les hommes noirs s'alignent caparaçonnés, entre nous et le bâtiment.

Tocsin.

Regroupés, visages crispés, rire nerveux ou larmes, chantants ou muets les diables regardent la pelleteuse éventrer leur bâtiment.

Le nuage blanc épais et mortifère enveloppe toutes choses et les gens, rendant comme irréelle cette image de guerre,

permettant à nos yeux de voir encore, derrière, comment c'était avant...

 

Nicole