Béton, parking ou parc in Saint-Jean d'Angély ?

En octobre 2001, nous posions l'opération Utopie d'Angély. Nous voulions, pour le quartier et pour nous-mêmes au sein de ce quartier, à côté du pôle universitaire, développer un espace vert et un lieu d'activités culturelles. Nous voulions éviter la démolition de ces casernes que nous avons investies et réhabilitées voilà plus de quatre ans maintenant et celle des nouveaux bâtiments que l'armée venait de quitter alors, estimant d'abord que l'ensemble était inscrit dans l'histoire du quartier comme un lieu de mémoire collective si fortement intégré que toute une zone porte le nom de Diables Bleus qui déborde ainsi largement de l'ancien espace militaire, mais aussi qu'il n'y avait pas de raison sensée pour un tel gaspillage ni pour un nouveau bétonnage démentiel.

Pour nous, ce projet n'est pas mort si d'aucuns l'ont déjà enterré. Il traduit en fait un désir de réappropriation plus globale, la volonté de commencer à reprendre en main. notre destin collectif.

 

Selon le plan envisagé par la Ville et l'État on aurait donc plus de 100 000 m² de bâtiments divers, logements étudiants et autres, ainsi que les aménagements pour le passage du tramway, construits sur les zones vouées à la démolition et les actuels parkings... Et aucun espace vert dans un lieu où la densité de population est de 19 500 habitants au km² ? Et si nous, nous préférons un bosquet avec un espace de jeu pour les enfants, des terrains de pilou et de pétanque et des terres cultivables ? Sommes-nous les seul(e)s?

 Vous pouvez essayer d'évaluer l'étendue de la future dévastation (bousculez vos habitudes si vous n'avez pas encore franchi le pas de vous rendre sur le site !). Placez-vous dans "la cour" entre Brèche et Diables Bleus ou peut-être tout simplement sur votre balcon, regardez tout autour de vous puis fermez les yeux et en imagination remplissez tout ce qui est "vide" et ancien de constructions cubiques plus ou moins heureuses comme celles de la faculté voisine, ne laissant entre elles que de maigres couloirs de circulation. Rouvrez les yeux, évaluez toute la perspective dont nous serons privé(e)s. Mesurez l'étouffement. Du béton et de l'asphalte supplémentaire pour des surfaces accrues de circulation routière. Un tramway dont le trajet ne paraît pas des plus pertinents... Et toujours les nuisances du trafic automobile. Des logements-ghettos concentrant une population ajoutée sans mélange à notre vieux quartier... Il existe un autre choix... Il paraît qu'en 1890 il y avait des chênes verts dans la cour des casernes... Aujourd'hui un caroubier, un tilleul et d'autres végétaux ont percé le goudron. D'autres émergeront le 1er novembre lors de la journée « Viens planter ton arbre ! ». Car, une fois la pensée venue qu'il y a de la terre sous l'asphalte, ce ne sont pas des éléphants roses que vous voyez par la fenêtre en regardant le parking, mais du vert, du grimpant, du rampant, du dressé, du qui se mange et du qui fait joli.

En juin, l'idée de créer nous-mêmes et dès à présent un jardin auto-organisé sur le parking du Collectif, a pris corps. Quelques grosses machines à l’appui après domestication et surtout des bras, des gros et des maigres, une énergie décuplée par l'effet jouissif du projet et voilà des dizaines de mètres carrés de bitume repoussés. On creuse sur deux mètres de profondeur : on racle la couche de goudron puis on s'enfonce ; on enlève d'abord du tout-venant que l'on pose sur un des côtés de l'excavation puis, arrivés à la terre sous-jacente, on l'enlève à son tour et on la dépose sur l'autre côté du trou. On remet le tout-venant dans le fond (drainage), puis la terre par-dessus... Les prémices d'un espace boisé et de parcelles cultivées. C'est sûr on y mettra des bancs pour prendre le temps, observer et se parler. Pour l'eau on peut creuser... On a creusé. Elle est là sous nos pieds. À peine plus bas, disponible.

Quelques-un(e)s du Collectif ont dessiné sur un plan leur envie pour l'aménagement de cette zone. Les propositions restent ouvertes. En fait l'organisation du jardin pourrait être comme celle du Collectif des Diables Bleus : attribuer des parcelles aux personnes du site, aux habitué(e)s du lieu ou à nos voisin(e)s intéressé(e)s ; chaque personne ou chaque groupe s'occuperait de sa parcelle de façon indépendante, certains ouvrages pouvant être effectués collectivement. Ou bien on pourrait envisager un système de jardins partagés : une même parcelle tenue par plusieurs personnes successivement et en fonction des disponibilités... En toile de fond l'idée présente d'avoir conscience du rapport entre désir formulé et capacité de faire, conscience de nos limites loin de la complexité technologique aliénante et de son univers virtuel. Se frotter aux problèmes concrets à une échelle qui reste à notre portée. Accéder à la maîtrise de ce que nous mettons en oeuvre...

On aura compris qu'à travers cette proposition de jardins est posée la question du choix de nos vies et dans nos vies : quitter "le subi" pour "le choisi". Accepter l'enlaidissement et la désagrégation du quartier, notre impuissance et notre dépossession, accepter que nous, humain(e)s, et la nature soyons intégralement transformé(e)s en matière à marchandises... ou trouver des chemins pour se réapproprier du pouvoir sur nos existences et sur les lieux où nous vivons, en somme pas moins que « renouer avec le processus historique de l'humanisation* ».

Nicole Cardinali

*René Riesel